Tu m’aurais vue, camarade influencée. J’étais gaiement en train de lister tout ce que j’allais faire à Londres, pendant ce weekend prévu depuis trois mois avec le Grand.
Quand l’info a surgi dans mon cerveau, d’un coup d’un seul : mon passeport est périmé.
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J’ai pris une suée sur le front en une seconde, comme dans un manga japonais.
J’ai dit à voix haute : « Dis-donc est-ce que ces saloperies d’Anglais demandent le passeport maintenant ? ». J’ai feint la désinvolture alors que je connaissais la réponse.
Je savais que tout était fini : les scones, la Tate gallery, le jardin de mon amie A. où un renard a pris ses aises. Marrant cette façon de poser la question quand même, des fois que la Providence me prenne en pitié : « La pauvre, c’est quand même dur, allez on annule le Brexit ».
Le Grand a demandé si c’était une blague, et quand il a compris que non, il a cessé de parler. J’ai dit qu’on n’allait pas rater ce weekend, pas moyen, plutôt crever. J’ai dit qu’on pouvait aller à Bruxelles, à Lille, à Honfleur. J’étais déjà sur le site de ma banque pour siphonner mon livret A en pleurant à moitié et en répétant « rien à foutre je vais tout claquer, rien à foutre ».
Quand soudain, le Grand a dit : « Bof, vas-y on reste à Paris ». Flèche dans le cœur.
Il a dû penser que j’allais me jeter par la fenêtre parce qu’il a ajouté : « On peut faire quelque chose de sympa… Un sauna, par exemple ». Le Grand adore le sauna ; moi je m’en fous total.
Il a vu que ça n’allait toujours pas, alors il a fait cette proposition folle : « Tu veux qu’on aille une nuit à l’hôtel ? ».
Un rayon de soleil a percé à travers les nuages. Oui je le veux, absolument. Je veux dépenser 200 boules alors que j’habite à moins d’1 kilomètre, je le souhaite ardemment.
Séjourner en touristes dans une ville dans laquelle on habite depuis toujours : quel geste, quelle poésie. Malheureusement, comme souvent, des marketeux sont déjà passés par là et ont saccagé le chemin.
Ils ont inventé le concept de « staycation ». Lequel est donc spécifiquement formulé pour humilier les individus qui veulent partir en vacation mais qui sont obligés de stay là où ils sont parce que leur passeport est périmé.
Penaude mais déterminée à vivre, je me suis rendue sur le bien-nommé site internet Staycation.com. Lequel attire le chaland aux abois en annonçant 24H dans un hôtel de luxe à des tarifs à -70%. J’ai trouvé l’hôtel mais pas le rabais. Je n’avais plus le jus pour me révolter.
J’ai choisi un établissement rive gauche (pour le dépaysement) avec un sauna (pour le Grand).
Et pendant que j’y étais, j’ai aussi réservé un massage. La dernière fois que j’ai été massée, c’était parce que je m’étais coincée un nerf en poussant pour sortir Jean-Coude ; j’ai décidé que je le méritais.
A notre arrivée à l’hôtel, la dame à l’accueil nous a demandé si on avait réservé via le site Staycation – j’ai dit oui en baissant la tête. Elle nous a donné le cadeau réservé aux staycationners (si) : un masque pour hydrater le visage.
A peine le temps d’enfiler mes tatanes et mon peignoir de la rive gauche, et zou, j’ai filé à mon massage. Je suis entrée dans une minuscule cabine avec la lumière tamisée, et là, déception : la masseuse était furax. Elle a dit : « Bon, on va faire ce qu’on peut, comme vous êtes en retard ».
J’ai regardé son horloge, elle affichait 18H03. Pour un rendez-vous à 18H00, j’ai trouvé que c’était raide. Mais j’ai dit « je vous prie de m’excuser » comme une meuf qui a creusé dans son livret A pour se payer son moment de kif.
J’ai été récompensée de ma couardise. D’habitude je n’arrive jamais à profiter d’un massage ; je m’endors à la 7ème seconde, je pense à ma to-do, bref je n’y suis pas. Cette fois, j’ai suivi les mains de la dame, j’ai eu l’impression de me promener dans mon corps comme dans Il était une fois la vie, j’ai adoré.
En fait elle était fâchée parce qu’elle est très impliquée dans son travail, et ça se sentait. A la fin, elle m’a dit qu’elle m’avait sentie très présente elle aussi – c’était un vrai Tinder match du massage.
Et puis elle a développé : « Les gens qui ne savent pas être touchés, c’est souvent à cause de leurs vies antérieures ». J’ai trouvé ça honnête qu’elle dise « souvent » pour souligner le fait que ce n’était pas une règle 100% béton.
J’ai dit « Ah ça » avec un petit claquement de langue dénué de sens ; je n’ai rien trouvé de mieux.
Après j’ai rejoint le Grand au sauna. Il était occupé à ajouter de l’eau sur les pierres de manière tout à fait compulsive. J’ai tenu trois minutes.
Puis je suis montée dans notre chambre « en duplex ». En duplex, ça veut dire que la porte s’ouvre sur un escalier ; c’est un plex plutôt qu’un du mais c’était bien quand même. Dans le plex, il y avait une baignoire, un écran de télé géant et un lit plus large que long : j’étais au max de l’exotisme.
On est repartis de là heureux, avec des mini-pots de confiture plein les poches. Et deux masques hydratants pour se rappeler à quel point on est des fous plein de poésie.
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