Nous sommes dix, huit adultes et deux enfants de moins de trois ans, confinés dans une maison au milieu des bois. Ton amie chômeuse raconte son expérience communautaire.
Mardi 17 mars
La maison dans les bois dans laquelle nous sommes confinés étant le résultat d’un héritage précoce – j’avais 24 ans, elle recèle quelques surprises, plus ou moins bonnes. La fosse septique, peu habituée à un tel peuplement, commence à montrer des signes de fatigue préoccupants. Une fuite dans le bac de douche suinte dans les poutres qui soutiennent le plafond. Deux membres de notre communauté ont déjà annoncé qu’ils étaient prêts à se doucher dans le jardin avec le tuyau d’arrosage ; nous nous approchons chaque jour davantage de nos ancêtres les hippies. Le manque d’équipement à vocation capillaire – épilateur ou rasoir, va peut-être nous y amener plus vite que prévu.
Clin d’oeil plus sympathique que celui de la fosse, en essayant de faire de la place dans le bahut (un terme manifestement tombé en désuétude – « Un quoi ? C’est le mot que vous utilisez dans ta famille ? »), j’ai trouvé une quinzaine de porte-couteaux en forme d’animaux. Chacun s’est vu attribuer une bête reflétant sa personnalité : un paon, un chien, une perruche, un canard, un cochon, un lion, un lièvre et un cygne. Je suis le cochon, la faute à mon rire et, peut-être, à mon caractère.
Les deux enfants, âgés de deux ans et demi, ont tendance à transformer tout objet en projectile ; pour éviter un trajet aux urgences qui pourrait avoir des conséquences funestes pour tout le monde, nous décidons de les priver d’animal totem.
Opération ravitaillement
Puisqu’il fallait bien se ravitailler, deux d’entre nous (le Lièvre et le Canard) ont été désignés pour aller au Super U, à une vingtaine de minutes de voiture.
Bombardés de consignes et partant avec une liste longue comme le bras, ils ont réclamé notre indulgence à l’égard de quelques ratés ; ils ont rapporté des ampoules à baïonnettes à gros culots – alors que nos lampes requièrent des ampoules à vis à petits culots. Ainsi que onze paquets de salade et autant de conserves de maïs.
Cet arrivage de l’extérieur a posé deux problèmes : le virus survivant sur des surfaces plastifiées, comment être certains que les produits n’en soient pas porteurs ? Le Paon, la Perruche et le Cygne ont entamé une chaîne de décontamination à l’eau de javel de tous les plastiques ; les cartons ont été brûlés dans la cheminée. Il y a huit jours à peine, nous nous faisions la bise, aujourd’hui, nous touchons les paquets de Granola avec des gants.
Second problème : notre minuscule réfrigérateur est saturé, ce qui provoque quelques tensions. Le Lièvre, par exemple, insiste pour que les œufs soient rangés au frais. « Mon père est agriculteur et je vous assure qu’il les met au frigo ». Sa compagne, qui partage sa vie depuis quatre ans, manifeste son incrédulité avec beaucoup de douceur : « Ton père est agriculteur, amour ? ».
Je propose une expédition dans le hangar, sis à une cinquantaine de mètres de la maison. Dans mon souvenir, il s’y trouve un réfrigérateur dit « américain », en raison de sa démesure et d’un dispositif inutile de production de glaçons. Et en effet, il est là, peuplé d’insectes et de toiles d’araignée.
Au pris d’un effort considérable et d’un début de lumbago, le Paon, le Canard, le Lièvre et le Chien chargent l’engin dans une remorque aux pneus crevés. Arrivés sur la terrasse, nous le branchons : il est présent, il dit oui. Le Lion entreprend le nettoyage des rayons et tiroirs, une tâche qui l’occupera tout l’après-midi.
Jeudi 19 mars
Tandis que les larbins larbinent, de nouveaux chantiers s’inaugurent un peu partout. Un potager voit progressivement le jour sur le flan droit de la maison ; la bande d’urbains que nous sommes apprend à bêcher, retourner la terre, planter des poteaux et tirer des grillages pour protéger nos futurs légumes des prédateurs de type ragondins (ou équivalent – nous ne savons toujours pas ce que nous avons vu rôder autour de la mare, rapport à notre inculture en matière d’animaux).
Au gré des coups de fil, les nouvelles nous parviennent de l’extérieur. Certains de nos proches, parents ou collègues, sont malades. Après cinq jours de fièvre, la mère du Chien semble assez bien se remettre de la maladie. Nous apprenons en revanche qu’un autre papa a été admis à l’hôpital, tandis que son épouse commence elle aussi à présenter les symptômes.
Pour nous remonter le moral, nous décidons d’ouvrir exceptionnellement une bouteille de vin, ce que nous avions prévu de nous interdire jusqu’au vendredi prochain. La Perruche fait remarquer à voix basse que nous avons également bu la veille. C’est alors que le Canard déclare que les jours de la semaine n’ont plus de sens. Il propose un nouveau calendrier révolutionnaire : lundredi, mardredi, merdredi, jeudredi et vendredi. Ce décret nous autorise officiellement à devenir alcooliques.
L’épisode 1, « La république du Larbinat » est en ligne ici.
un régal, je passe au trois!