Depuis le temps qu’on m’appelle Emily, je me sens très proche de mon homonyme, celle qui officie sur Netflix. Moi aussi, j’ai un goût vestimentaire irréprochable et des amis (à peu près) bilingues. Dorénavant je ferai tout comme elle, elle sera mon guide et ma boussole. Mission du jour, la soirée en appartement avec vue sur Paris.
Le problème, quand on a fabriqué un bébé (on en reparlera, va), c’est qu’il y a tout un tas de trucs qu’on n’a plus fait depuis longtemps. Par exemple, aller à une soirée, une vraie, avec des vrais gens à qui il faut dire « pardon, pardon » pour accéder aux toilettes. Le weekend dernier, j’ai effectué mon retour de teuf. Je n’avais pas bu depuis 9 mois et pas vraiment dormi depuis trois semaines, je flottais gentiment au-dessus de mon corps. J’ai fait comme aurait fait ma consœur Emily : j’ai enfilé une tenue élégante et festive, et en avant Guingamp.
Samedi soir, intérieur nuit. Je suis donc là, seule parmi les gens, parce que je ne connais que Mathias et que je n’ai pas envie de lui coller aux basques. Si on est côte-à-côte, on va immanquablement nous interroger sur notre bébé, alors que ça n’intéresse personne de parler de ça, surtout pas nous. A la place, je me dis que je vais essayer de reprendre goût à la cigarette. Sauf que même pour aller fumer, je ne sais plus bien comment on fait : est-ce que je dois me couvrir ? Il fait en dessous de zéro. Je regarde les deux filles qui fument à la fenêtre de gauche, elles sont en teeshirts. Ça doit être plouc de mettre un manteau, j’y vais comme ça, comme une brave.
L’appartement est au 9ème étage, la vue sur les tours du 20ème est imprenable. J’essaye vaguement de repérer où j’habite, et je me dis que quand même, les soirées parisiennes ont bien changé. Déjà on fume à la fenêtre. Parce que ce serait dommage que le canapé sente le tabac froid, il n’a pas l’air déhoussable. Et puis on fait attention à ce qu’on met sur le buffet. On ne s’échine pas à aller deux fois par semaine au Pilates (protocole femmes) ou à l’escalade (protocole hommes) pour se foutre en l’air aux Chipsters le samedi soir. Le tarama vient de chez le traiteur et il y a même quelques crudités découpées en branches. Les filles à l’autre fenêtre débattent des mérites du panier bio (« Ras le bol du panais au bout d’un moment » « Mais ça force à être créative en même temps »). Et puis à un moment elles disparaissent ensemble. Et je sais où elles sont. Elles ont embarqué leur bâtonnet de carotte bio et elles sont allées s’enquiller des lignes de coke. Où donc ? Dans la chambre des enfants bien sûr. C’est comme ça maintenant.
Je suis un peu nostalgique de l’époque où Justin Timberlake et les Gin to’ étaient les deux ingrédients majeurs d’une boum réussie. Et j’avoue, je croyais que ça allait passer, cette mode de la cocaïne. D’ailleurs, pendant la semaine, tout le monde est d’accord : c’est une drogue de merde. Ras-le-pompon des camés convaincus de leur puissance intellectuelle, trop naze le petit cirque entre ceux qui en ont et qui tapotent l’épaule des heureux élus, et ceux qui n’en ont pas qui rôdent piteusement autour de la salle de bain. Mais le weekend arrive, et paf, ces appréciations deviennent obsolètes. Je croyais que les gens de gauche allaient finir par avoir un problème avec le fait d’alimenter le trafic. Car non, camarade, ça ne suffit pas d’inviter le dealer à entrer boire un verre ; il a désormais 15 ans de moins que nous et c’est toujours le seul Noir dans la pièce, on n’a pas avancé sur ce terrain-là non plus.
Ce n’est pas en me formulant des réflexions pareilles que je vais m’intégrer à la liesse, que je me dis encore. Peut-être que je devrais rentrer. Il est 22H15 après tout. Et là, arrive une fille hyper lookée, elle porte une combinaison fuchsia et des bagues à tous les doigts. Elle est convaincue de me connaître, je suis sûre du contraire. Les gens me confondent sans arrêt. Avec leur cousine, avec leur ex, avec Audrey Lamy. Parfois ils se mettent à hurler et à rouler des yeux en disant : « Ça y est ! Laura Dern ! ». J’ai l’habitude, ça m’arrive tout le temps.
Mais la fille n’en démord pas, elle pense qu’on a un passé commun, et là voilà qui se lance dans l’avenir. Elle se met à me raconter, sur le ton de la confession, une anecdote compliquée où il est question d’engagement et de sodomie, sans que je saisisse le rapport. Je suis trop fatiguée pour me concentrer sur une histoire d’anus, alors j’entame la technique dite du crabe, qui consiste à s’éloigner en biais et à reculons. Je lance des œillades pour repérer un groupe, une terre d’asile. Mais patatras, mon interlocutrice me grille : « J’ai l’impression de te faire chier, c’est affreux ». Rupture du contrat social. On ne formule jamais cette réflexion à voix haute, cette personne ne respecte rien. Elle continue : « J’aurais tellement aimé te plaire. Je suis hyper désolée, hyper déçue ». Les larmes lui montent aux yeux.
La charité aurait commandé que je rebondisse, mais je suis séchée. Je dis : « Je vais me chercher un verre », en pensant « Je me tire ». Et là elle m’attrape le bras et me dit avec des yeux ronds comme des billes : « Je suis en montée de « D » », comme si elle m’annonçait qu’elle avait un cancer. J’ai eu un début de fou rire, un qui fait prout avec la bouche et qui envoie des postillons. Du coup elle s’est marrée aussi – je lui ai dit « bon voyage » et j’ai ri une bonne partie du trajet de retour.
Pas si mal, la soirée de come-back.